Elle n'a pas quarante ans. Elle en paraît le double
Marie G. dort encore. Le jour est pour dormir, il n'y a rien à craindre. Maître Dunoix lui a apporté des livres. Elle a demandé des livres mais ne les ouvre pas. Des romances au dénouement heureux. Maître Dunoix est un homme généreux, il croît à sa grâce, il pense le rêve encore possible. Il se trompe. La veille, toutes les nuits, c'est l'attente de la mort. Et le jour, dans le sommeil, le frottement des coutures de sa robe de bure défend à Marie G. l'accès à l'oubli. Cette gêne infime à chaque respiration trace une ligne rose claire dans son cou, le long de ses hanches, elle lui rappelle au fond de sa nuit la cellule de la Roquette, les entraves qui scient la peau de ses poignets, de ses chevilles, préludes au reste, elle entre dans un rêve auxcontours aiguisés, même le sommeil fait mal. Marie G. connaît le supplice de la goutte d'eau, une goutte qui tombe sur un front à fréquence régulière, il n'est rien de plus doux, de plus silencieux, rien de pire, la goutte s'écrase et d'heure en heure transperce le crâne, brûle le cerveau comme un acide, l'homme crie qu'on le laisse mourir. La caresse du droguet sur la peau de Marie G. est une torture semblable. Avec la touffeur de juillet, des rougeurs apparaissent aux points de frottement. Elles suintent, démangent, s'infectent. Le corps pourrit. D'ailleurs, pendant qu'elle dort, les cheveux de Marie G. blanchissent. Quand elle s'éveillera tout à l'heure, sans miroir, sans visage, le corps tuméfié, elle pincera entre pouce et index un cheveu blanc comme neige tombé sur sa poitrine. Elle n'a pas quarante ans. Elle en paraît le double.
Valentine Goby, dans Qui touche à mon corps je le tue.